29/05/2025

Une journée à La Roche-Bernard, à pas lents et regard neuf

Un port haut perché, entre Bretagne et Vilaine

À La Roche-Bernard, la Vilaine coule large et tranquille, mais le bourg, lui, se cabre sur son roc. Posée à la frontière sud-est du Morbihan, cette petite ville de caractère déborde autant de relief que d’anecdotes. Arriver à La Roche-Bernard, ce n’est pas cocher une étape de guide, c’est d’abord plonger dans l’ambiance : odeur de bois mouillé au matin, cris des goélands au-dessus du port, vieille pierre qui chauffe doucement sous le soleil d’Armorique.

Ce n'est pas un hasard si le lieu s’appelle ainsi. Le bourg s’est forgé au XI siècle autour d’un grand rocher (la Roche en question), d’abord comme place-forte des Vikings, puis comme abri stratégique pour les navires commerçants. On dénombre moins de 800 habitants, mais le patrimoine, lui, en témoigne dix fois plus.

Flâneries dans la ville haute : ruelles et histoires gravées

Commencer la visite par la ville haute, c’est goûter à l’âme de La Roche-Bernard. Ici, rien n’est tout droit, tout s’enchevêtre : maisons à encorbellement, placettes minuscules, escaliers ornés d’hortensias. On s’amarre facilement à la rue de la Saulnerie, jadis rue des négociants de sel – or blanc de la région. Aujourd’hui encore, la pierre y sent la mer.

  • L’Hôtel du Canon (XVII siècle) : sa façade expose fièrement une grosse pièce d’artillerie, vestige de la défense portuaire ; il fut aussi relais de diligence et auberge à la fois.
  • La Place du Bouffay : entourée d’anciennes maisons à pans de bois, elle reste le cœur du bourg, animée aux beaux jours par des marchés de producteurs et, parfois, à la nuit tombée, par les airs d’un accordéon breton.
  • L’église Saint-Michel : sobre à l’extérieur, mais à l’intérieur, un retable du XVII siècle classé et des vitraux qui racontent l’histoire des marins d’ici.

De ruelle en ruelle, impossible d’ignorer les plaques commémoratives – dont celle en hommage à René Cintré, charpentier compagnon, tué lors de la Libération en 1944. Ces petites traces rappellent que le port, abri stratégique au fil des siècles, a vécu les heures sombres et glorieuses de la Bretagne.

Le vieux port, miroir des jours anciens

En contrebas, le vieux port s’offre comme une parenthèse hors du temps. Jadis, il résonnait du battoir des lavandières, de la rumeur des halles et du tumulte des armateurs. Aujourd’hui, c’est le défilé paisible des promeneurs et le balai silencieux des bateaux traditionnels – quelques vieux gréements, dont le fameux , classé monument historique (source : Inventaire général du patrimoine culturel).

  • Le Pont du Morbihan : Depuis son tablier, la vue sur la Vilaine et les rives boisées se mérite, surtout au lever ou au coucher du soleil. Le pont suspendu actuel date de 1960, mais c’est déjà le troisième à franchir ici la rivière après l’effondrement du premier en 1911 et la destruction du second durant la Seconde Guerre mondiale.
  • Les chantiers navals : En remontant vers la cale, une enseigne “Chantier Bernard” rappelle que la réparation navale est une tradition vivace, du canot à moteur jusqu’aux sinagos (voiliers traditionnels du sud Morbihan). Plusieurs ateliers ouvrent, ponctuellement, leurs portes à la visite lors des journées des métiers d’art.

Une halte gourmande, simple et locale

Impossible de manquer l’heure du marché. Chaque jeudi matin, la place du Bouffay s’anime d’étals : maraîchers, fromagers, pêcheurs de la Vilaine – anguilles et mulets, en saison. Il s’en dégage des parfums de fleurs, de galettes encore chaudes et d’iode. On y trouve aussi le fameux pain Guezou, un pain à la croûte épaisse qui vient de Muzillac, et quelques douceurs locales comme les “Amours de La Roche”, discrètes pâtisseries à base d’amande dont la recette, dit-on, serait jalousement conservée par deux familles du village.

  • Boulangeries-pâtisseries du port : on y trouve la “fougassette” locale, garnie d’oignons et de lard fumé.
  • Marché hebdomadaire : Jeudi matin, à ne pas rater pour sentir battre le pouls villageois.
  • P’tit Bistrot : Pour une pause café-cannelé sur terrasse, avec vue sur la Vilaine et la cale.

Artisans et galeries, l’âme créative du village

La Roche-Bernard accueille une vraie communauté d’artistes et artisans. Ateliers d’ébénistes, potiers, forgerons, relieurs jalonnent le quartier du Vieux Pont. La plupart ouvrent gratuitement leurs portes, le public flâne entre tableaux iodés et bois flotté. Depuis 30 ans, le Parcours des ateliers d’art fédère une quinzaine de créateurs locaux – point d’orgue lors des week-ends d’été.

Parmi les adresses à découvrir :

  • L’Atelier du Passage : Vitrailliste, il illumine ses créations de motifs inspirés des reflets de la Vilaine.
  • La Forge du Vieux Pont : Le forgeron, héritier d’une lignée du pays de Questembert, façonne à la main des outils pour le jardin et la marine.
  • Galerie Florilège : Céramiques, aquarelles, bijoux, ouvert toute l’année.

Ici, on ne se contente pas d’exposer. Le visiteur discute, observe le geste, touche la matière. Beaucoup de pièces sont uniques, et chaque achat encourage à sa façon la vivacité artistique locale (source : ateliers-artisanat.com).

Balades sur l’eau et sentiers suspendus

La Roche-Bernard, c’est d’abord un pays de rivières. Au printemps et l’été, plusieurs compagnies proposent des croisières commentées sur la Vilaine. À bord de petits bateaux électriques sans permis ou du Morwenna (une gabare à voile reconstruite à l’ancienne), on glisse le long des falaises, des roselières et du vieux moulin de Pen Castel, à deux pas du port.

  • Location de kayaks ou canoës : Pour longer la Vilaine en solo, s’approcher au plus près des îlots, écouter le chant du courlis au crépuscule.
  • Passeurs de Vilaine : Petites navettes fluviales, en saison, pour rejoindre le village voisin de Marzan.

À pied, le sentier des douaniers

Au départ du port, le GR®39 file sur la rive droite. Une boucle de 5 à 7 km permet de découvrir :

  • Les anciennes fontaines du faubourg Saint-James, autrefois halte des lavandières.
  • Le Pont du Morbihan vu d’en-dessous, panorama sur la vallée encore sauvage, avec parfois le spectacle d’un busard Saint-Martin ou d’une loutre (rare, mais les naturalistes locaux la signalent de temps à autre, source : Bretagne Vivante).
  • Plus loin, le sentier grimpe vers la table d’orientation de la Roche aux Moines – là où, dit la légende, le baron Bernard aurait mené ses troupes contre les Vikings en 919.

Le retour par la vieille ville permet de longer les “rues à arcades”, d’admirer les détails des portes sculptées et – lors des soirées d’été – parfois d’entrevoir une fête impromptue sous les halles.

Un village qui aime les histoires et les fêtes

Contrairement aux idées reçues, La Roche-Bernard ne vit pas seulement au rythme des saisons. Le village accueille plusieurs événements marquants :

  • Festival des Garennes : Concerts folk, spectacles de rue, installations artistiques, chaque année au printemps (sources : lesgarennes.com).
  • Journées du patrimoine : Promenades commentées autour des métiers d’autrefois, visites de maisons privées – et parfois, expositions des archives maritimes.
  • Courses de yoles : Régates traditionnelles sur la Vilaine, spectacle garanti et ambiance de quai, bancs de sardines grillées à la main et crème au beurre salé.
  • Sorties “Oiseaux de l’Estuaire” : Avec guides locaux, pour observer avocettes, martins-pêcheurs et tadornes en hiver.

Aux beaux jours, petits concerts sur le port, balades contées et marchés nocturnes prennent le relais, donnant à ce village portuaire une vitalité étonnante hors de la “saison”.

Ambiances : entre bruissement d’eau et senteurs de pierre chaude

On ne quitte pas La Roche-Bernard sans avoir pris le temps de s’asseoir sur un banc, de regarder la Vilaine refléter les couleurs du soir ou de discuter cinq minutes avec la tenancière du dernier petit café de la place Bouffay. Ce qui séduit ici, c’est peut-être moins la liste des “immanquables” que l’atmosphère : cette façon discrète d’accueillir, la simplicité sans folklore, la sensation de remonter le fil du temps à travers la rugosité des pierres et les paroles flottant en breton ou en gallo.

L’escapade d’un jour à La Roche-Bernard, c’est finalement cette parenthèse, à l’écart du rythme pressé, une parenthèse à la saveur douce et salée, entre balades, haltes gourmandes et rencontres de hasard. Et si le vrai charme du Morbihan, c’était ça – explorer sans vouloir tout voir, mais sentir profondément ce qui fait vivre ces bourgades de rivière et de granit ?

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