03/06/2025

Le centre ancien d’Auray : un dédale de secrets, de pierres et de mémoire

Flâner Autrement : Auray, au-delà des clins d’œil des guides

C’est une ville qu’on croit saisir d’un simple coup d’œil, surtout l’été quand les tables débordent sur les pavés et qu’un parfum de galette flotte dans l’air salin. Et pourtant, Auray se révèle par strates, comme les veines souterraines de la rivière qui s’y faufile. Le centre historique, autour de Saint-Goustan, se mérite — surtout si l’on veut passer derrière la carte postale, à l’écoute de ses secrets. Entre ruelles oubliées, détails d’architectures, vestiges souvent ignorés des promeneurs de passage, il y a plus à entendre, sentir et voir qu’on ne le croit.

Saint-Goustan : un port miniature, de marins, d’exilés et de marchands

Tout commence (et souvent tout s’arrête) au port de Saint-Goustan. Un petit théâtre de pierre, posé en amphithéâtre sur la rivière d’Auray. Impossible de rater ses pavés, son vieux pont à quatre arches sur la rivière, ses maisons qui semblent tanguer au fil des marées. Mais ce décor en dit plus long qu’il n’y paraît.

  • Un mouillage stratégique : durant le Moyen-Âge, Saint-Goustan n’est pas un “vieux port mignon”, mais le poumon commercial du pays d’Auray. Le sel, le vin, les toiles partaient et arrivaient ici, protégé de la houle et des tempêtes bretonnes (source : Archives départementales du Morbihan).
  • Bastion de passeurs de clandestins pendant la Révolution : au temps des Chouans, il paraît que les ruelles cachaient armes, prêtres réfractaires et opposants dans des caves voûtées ou sous les greniers aux poutres massives.
  • Le fantôme de Benjamin Franklin : en 1776, le port a vu débarquer Benjamin Franklin, en mission diplomatique auprès du roi de France, une visite éclair qui a assis sa petite notoriété. La tradition veut qu’il ait mis pied à terre là où la taverne “Benjamin Franklin” trône aujourd’hui - même si le quai n’en a pas gardé la trace matérielle.
  • Un pont racontant l’histoire : les trous visibles dans la pierre du vieux pont, côté aval, sont les restes des potences où étaient amarrées les chaînes anti-intrus pendant les guerres de Religion.

Des ruelles et des pentes : arpenter, c’est décrypter

Auray ne s’appréhende pas en ligne droite. Ici, on grimpe, on dévale, on se perd. Les ruelles médiévales et les pentes abruptes sont le résultat d’une topographie singulière, utilisée dès le XI siècle pour défendre l’oppidum.

  • La rue du Château, escarpée, conduit à l’emplacement de la forteresse détruite au XVIII siècle : quelques pierres amoncelées et l’ombre d’un chemin de ronde s’offrent encore à ceux qui lèvent les yeux à la bonne heure.
  • La rue du pavé : en remontant, on aperçoit sur plusieurs linteaux de portes des dates gravées (1547, 1623…). Il se dit qu’ici sont passés prisonniers, pèlerins, moines, marchands, tous venus chercher asile ou fortune.
  • Les venelles masquées : À midi, la lumière fuse sur la ruelle du Père-Éternel, si étroite que deux personnes s’y croisent de justesse. Moins connue, la venelle de la Porte-Neuve cache au printemps des tapis de violettes et, à l’automne, une quiétude rare.

À chaque seuil, la pierre raconte. Beaucoup de maisons datent plus du XVI et XVII siècles que du Moyen-Âge. Le granit bleu-rose de Pluvigner, typique du secteur, s’y mêle au schiste et au tuffeau, assemblés selon la bourse et les rêves de leurs bâtisseurs.

Des façades bavardes : pans de bois, décors et traces des métiers d’autrefois

Un détail qui échappe souvent : la ville recense encore plus de 30 maisons à pans de bois classées ou inscrites aux Monuments Historiques (source : Inventaire général du patrimoine culturel, DRAC Bretagne). Plusieurs rez-de-chaussée gardent la trace de métiers disparus.

  • Boules de feu et animaux gravés sur les sablières, qui protégeaient symboliquement du feu ou “promettaient bonne vente” à l’échoppe au rez-de-chaussée.
  • Le 9, rue du Château a abrité jusqu’au XX siècle une fabrique de sabots, dont la large ouverture basse permettait à la sciure de glisser dans la ruelle pour être emportée par la pluie.
  • Vestiges de l’époque florissante du commerce du vin : plusieurs maisons alignées sur les quais portent encore leurs blasons gravés (fûts, grappes, ancres), symboles d’anciennes maisons de négociants du XVIII siècle, une activité qui a périclité après l’arrivée du chemin de fer en 1862.

Un œil attentif repérera aussi les anciens anneaux d’amarrage pour chevaux, devenus supports pour vélos, ou, sous la fenêtre, les restes de l’auvent qui protégeait les crieurs de journaux ou d’huîtres.

Églises et chapelles : plus que des pierres, des repères de rituels populaires

Le centre ancien est encore rythmé par les sons de clochers, souvenirs des processions et des rassemblements populaires. L’église Saint-Gildas trône sur la colline, moins garnie de visiteurs que les chapelles voisines, mais chargée d’histoires.

  • Les sabots suspendus : Au fond de l’église Saint-Gildas, le tumulte retombe. Une tradition, disparue au XIX siècle, voulait que l’on offre un sabot de bois suspendu pour protéger un marin ou souhaiter un enfant.
  • Une Vierge noire dans la chapelle de la Congrégation, rue du Lait : autrefois réputée pour faire revenir les voyageurs partis “par-delà l’eau”.
  • Le cimetière des martyrs chouans : dans la partie haute du centre, sur la place de la République, la stèle discrète rappelle les exécutions lors de la bataille d’Auray en 1795, peu évoquées lors des festivités du souvenir mais qui pèsent encore sur la mémoire locale (informations : Association Mémoire d’Auray).

Mémoire des guerres, résistances cachées

Auray s’est trouvé, au fil des siècles, aux avant-postes de plusieurs conflits. Quelques traces subsistent, discrètes.

  • La fontaine Saint-Michel, restaurée en 2003, était un point d’eau crucial pour les soldats lors de la bataille de 1364 entre Franco-Bretons et Anglo-Bretons – la fameuse bataille d’Auray qui a fixé le destin du duché de Bretagne (sources : Encyclopaedia Universalis)
  • À l’angle de la rue Barré, on peut voir une plaque discrète rendant hommage à un réseau de résistants FFI de la Seconde Guerre mondiale, dont Auray servit de nœud pour les passages clandestins vers Quiberon.
  • La présence protestante (rare en Bretagne), attestée par des archives du XVI siècle, laisse encore esquisser parfois une croix huguenote sur une margelle ou dans un mur de la rue frérienne, vestige d’une communauté disparue sous Richelieu.

Rituels d’un quotidien, marchés vivants et commerces pas comme les autres

Surtout le lundi, le cœur du centre bat en cadence : le marché d’Auray, place de la République, fait partie des plus anciens marchés hebdomadaires du Morbihan, attesté dès le XIII siècle selon des chartes conservées aux archives municipales. On y trouve :

  • Des ostréiculteurs qui parlent à mi-voix du vent de la nuit, et débitent des huîtres devant le portail de l’église, tradition inchangée depuis au moins 150 ans.
  • Des “paludiers” venus de la presqu’île de Rhuys ou de Guérande, qui troquaient jadis le sel contre du poisson frais du Loch ou du Bono.
  • Une boulangerie existence continue depuis plus de 200 ans (Boulangerie Moréac, attestée sur cadastre napoléonien de 1820).

Il y a aussi les petits bistrots accueillant encore les vieux alréens parlant gallo ou breton, surtout dans les arrière-salles du port.

Secrets à saisir au fil de l’eau : balades et regards au ras des flots

Longer la rivière d’Auray réserve d'autres surprises à qui s’attarde :

  • Le sentier côtier GR34 frôle les anciens viviers à poissons du XVIII siècle, bassins de pierre cachés sous la végétation, que l’on repère à marée basse ;
  • Des traces de puits “des douaniers” jalonnent la rive gauche, témoins de l’importance de la lutte contre la contrebande de sel dès le XVII siècle (source : Musée des Douanes de Lorient) ;
  • Quelques barques échouées portant encore, à l’envers, des noms peints à la chaux : autant de rappels de la flottille de pêche du port, réduite à deux unités permanentes aujourd’hui contre plusieurs dizaines jusque dans les années 1950.

La lumière révèle le matin, selon la houle, des reflets irisés sur les murs du quai Franklin : un phénomène causé par un mélange entre microalgues du port et écume saline, que les photographes locaux attendent les jours de grand coefficient.

Un centre en mutations : préserver, inventer, transmettre

Si le centre historique attire les promeneurs, il tire sa force de ses habitants. En 2023, la population d’Auray a légèrement augmenté, pour atteindre 14 479 habitants (source : INSEE), mais la part du centre ancien a, elle, baissé : la transformation des maisons de pêcheurs en locations saisonnières modifie le tissu social.

  • Des associations veillent à la préservation du bâti et des traditions : “Auray d’Hier et d’Aujourd’hui” anime chaque année des visites secrètes de combles et de caves rarement ouvertes au public (renseignements mairie d’Auray).
  • Des artistes et artisans redonnent vie aux anciennes échoppes : encadreurs, luthiers, céramistes s’installent là où les poissonneries ont disparu, perpétuant la vitalité créative du centre.
  • Le “Festival des Rues du Port” célèbre justement ces héritages discrets, avec lectures, petites scènes et ouvertures nocturnes de lieux d’habitude fermés.

Les secrets d’Auray sont vivants, souvent mouvants : ils s’inventent parfois dans l’ombre des vieilles pierres, et surtout dans l’attachement que mettent les habitants à garder l’âme du centre tout en ouvrant la porte à ceux qui veulent comprendre plutôt que consommer. Le vrai visage d’Auray ne se résume pas : il s’écoute, se respire, et se goûte à pas feutrés, de préférence avec l’envie de voir et de questionner autant que de flâner.

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